On se plante en moto – voici pourquoi !

On parle beaucoup de sécurité à moto, d’accidents et de formation. On blâme beaucoup les autres pour nos malheurs en se basant sur les ouï-dire et les fameuses statistiques. Mais il n’y avait eu que peu, ou pas, d’études analysant pour de vrai le comportement des motocyclistes.
 
Ça, c’était avant l’étude mené par la Virginia Tech Transportation Institute pour le compte de la Motorcycle Safety Foundation (MSF). Celle-ci visait à mesurer sur la route le comportement des motocyclistes à travers les autres usagers de la route pour identifier les facteurs de risques d'accidents.
 
Une étude instrumentée, à relativement long terme, dans des conditions dites normales d’utilisation et en dehors de parcours contrôlés. Le Virginia Tech Transportation Institute est une institution dont la mission est l’analyse des transports dans une optique de sauver des vies, du temps et de l’argent tout en protégeant l’environnement. Ils sont spécialisés dans la collecte, l’analyse et l’interprétation des données liées aux modes de transport.
Le rapport final de cette partie de l’étude a été publié en 2016.
 
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Les références sont au bas de cet article.
 
Au sujet de l’étude en question, voici quelques données :
  • 100 participants
  • Agés de 21 à 79 ans, 
  • Provenant de : Californie (47), Arizona (6), Floride (17) et Virginie (30)
  • Sur chaque moto, 5 cameras (vers le pilote/visage, avant, arrière, gauche et droite), GPS, accéléromètre etc…
  • Mesure de l’accélération, de la pression de freinage, de l’angle etc
  • 366,667 miles parcourus
  • Les participants ont fait partie de l’étude pendant des périodes allant de 2 mois à 2 ans.
 
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Une fois les motos équipées, les participants sont retournés dans leur milieu « naturel » avec pour seule instruction de vivre et rouler comme ils le font normalement.
 
L’ensemble des systèmes de mesure embarqués sur les motos ne demande aucune intervention du pilote. Et ces systèmes n’interviennent d’aucune façon dans le pilotage des motos. Ils sont tous automatiquement mis en fonction au démarrage de la moto, et ils s’arrêtent lorsque celle-ci est éteinte. Sans intervention aucune.
 
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Parmi les 100 participants, 65% indiquaient avoir suivi/réussi au moins un cours de pilotage moto, 16% avaient suivi deux cours ou plus et seulement 8% avaient suivi trois cours ou plus. Globalement, l’expérience moto des participants allait de 1 à 684 mois, avec une moyenne de 203 mois, ou 17 ans. Dans les 12 mois avant l’étude, les participants ont indiqué avoir roulé en moyenne 7,794 milles, avec une plage allant de 40 milles à 40,000 milles.
 
Au cours de la période de l’étude, les participants ont réalisé 30,844 mouvements (du démarrage de la moto à l’arrêt de celle-ci). Ces déplacements représentaient 9,354 heures de fonctionnement. Il y aura eu un total de 100.6 années de temps de fonctionnement des systèmes pour une distance totale de 366,667 milles.
 
Disons que les données sont détaillées et représentatives.
 
Dans le temps du rapport Hurt, les pilotes impliqués dans des accidents disaient souvent avoir tout fait pour éviter la collision … portant, les observations post-incident ou les témoignages de gens ayant assisté à la scène portaient à croire le contraire. (Hurt, Ouellet, and Thom – 1981)
 
Dans l’étude du VTTI, pas d’interprétation ou de « me semble que…», tout est enregistré.
Et les données sont analysées par des séries d’automatismes d’abord, puis par des spécialistes de la sécurité routière et de la dynamique des véhicules et de la circulation.
 
Au final, il y aura eu 30 accidents, et 122 quasi-accidents durant la période de l'étude.
 
PS : Les facteurs de risque sont exprimés en terme d’effet multiplicateur sur les probabilités d’occurrence d’une collision par comparaison avec une scénario de base « normal » où les conditions menant à une collision ne sont pas présentes.
 
Les premières constatations :
  • Les intersections sont dangereuses.
  • On rentre à qui mieux mieux dans l’arrière des autres véhicules ou d’autres objets fixes.
  • On ne sait pas prendre les courbes, particulièrement vers la droite.
  • On échappe nos motos à un rythme alarmant.
 
Où est-ce qu’on se plante …
  • Aux intersections (surtout les intersections non contrôlées par des feux de circulation) – 41 fois plus de risques
  • À la sortie d’un stationnement ou d’une entrée/sortie automobile – 8 fois plus de risques
  • À une intersection contrôlée (feux/panneaux) – 3 fois plus de risques
  • Dans une pente descendante – 4 fois plus de risques
  • Une pente ascendante – 2 fois plus de risques
  • Sur une route non pavée – 9 fois plus de risques
  • Dans une courbe vers la droite, comparativement à une section rectiligne – 2 fois plus de risques
La Gaspésie… Une balade à moto qui fait un bien fou à l’esprit et au corps !

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Et comment est-ce qu’on se plante …
 
La classique que vous attendiez tous. Parmi les 99 cas impliquant un autre véhicule, les trois scénarios où l’autre véhicule « coupe » la trajectoire de la moto ne compte que pour 19 occurrences.
 
Et la surprise que personne ne veut admettre … Le scénario le plus fréquent de tous… C’est la moto qui frappe l’arrière d’un autre véhicule ou un autre objet fixe. Et ça représente 35 des 99 incidents ! Vous avez bien lu, dans plus du tiers des incidents où une moto et un autre véhicule/objet sont impliqués c’est la moto qui va frapper l’autre objet – qui est souvent fixe !
 
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Ah oui, les chercheurs ont aussi été capables d’identifier des comportements qui ont une incidence directe sur les « chances » d’être impliqué dans un accident. La conduite agressive multiplie les risques par 18. Le manque d’attention ou le manque de talent multiplie les risques par un facteur de 9. Combinez les deux et le risque est multiplié par 30 fois !
 
Au total, ce sont 29 pilotes qui ont été impliqués dans les 53 incidents n’impliquant que la moto – les données présentées dans le rapport de l’étude ne permettent pas de caractériser ces pilotes. Mais d’autres études arrivant à des résultats similaires le permettent; nous y reviendrons dans une autre analyse.
 
Parmi les 30 accidents, il y en a 17 où la moto est tombée au sol à basse/très basse vitesse sans aucune influence externe. Manque d’attention, de technique ? En tout cas, les caméras avaient tout enregistré !
 
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Une bonne nouvelle … le fait de rouler avec un passager diminue en général les risques d’accidents – sauf à très basse vitesse. Nous serions plus prudents avec un passager, mais moins habiles à manœuvrer une moto !
 
Cette étude avait aussi pour but d’identifier les adaptations à apporter aux cours de la MSF. L’étude se conclue donc sur une série de recommandations concrètes. Celles-ci s’adressent d’abord à la MSF, mais on peut en tirer des applications, autant collectives qu’individuelles (extrait des principales recommandations).
  • Un virage, ou tout changement de direction demande une attention particulière
    • L’étude démontre que prendre une courbe, particulièrement vers la droite, double le risque d’accident ou de quasi-accident. Ce type d’événement comprend aussi le fait de prendre une courbe avec une trajectoire trop large, ou à vitesse excessive et d’empiéter dans la voie inverse – cela constitue une quasi-collision à cause de la manouvre d’évitement et de correction de trajectoire nécessaire à reprendre le contrôle de la moto.
    • Il est donc recommandé d’insister sur l’importance d’adapter sa vitesse avant et pendant une courbe.
    • L’étude montre que la vitesse excessive (un des 12 comportements des pilotes observés dans les cas de collision ou quasi-collision en courbe) est un facteur dans 45 % des cas.
  • Il faut apprendre à « voir loin », particulièrement dans les courbes et aux intersections.
    • Les risques sont majoritairement vers l’avant
    • Il faut identifier les risques, les voir venir, pour être en mesure de s’ajuster et d’ainsi éviter d’avoir à réagir à la dernière minute
    • Les manœuvres d’évitement accroissent les risques de collision/renversement par un facteur de 12
  • Il faut apprendre à freiner.
    • Dans 35 des 99 cas de collisions ou quasi-collisions, la moto a embouti l’obstacle
    • Les participants n’ont pratiquement jamais réalisé de manœuvres « contrôlées » d’évitement
    • L’application des freins, quand c’est tout ce qui reste à faire, est déficiente ou nulle
      (techniquement, les motos avaient la capacité d’éviter la collision en freinant).
  • Dans 67% des accidents, la moto a quitté la route dans une courbe ou en franchissant la ligne de la voie opposée
    • Il faut insister sur le positionnement dans sa voie et le contrôle de la moto
    • Cela est vrai dans les courbes, mais aussi dans les pentes
      • Le risque d’incident est multiplié par 2 dans une pente qui monte
      • Le risque d’incident est multiplié par 4 dans une pente qui descend
    • Il faut aussi insister sur l’apprentissage des techniques pour contourner ou franchir un obstacle
Voilà ! Ces enseignements vont enrichir l’approche de la MSF et des autres organisations que se préoccupent de la sécurité routière en moto. Pour l’essentiel, ce sont des aspects qui sont couverts ici par les formations MOTO PRO de la FMQ par exemple.
 
Mais encore faut-il que les motocyclistes suivent ces formations et qu’ils en tirent les enseignements et qu'ils puissent les mettre en pratique.
 
Il est vrai que dans 20 % des accidents, un autre véhicule a coupé la route au motocycliste.
Il faut être intensément attentifs.
 
Mais il reste que dans 80 % des cas, la moto est le seul véhicule impliqué – et là, le motocycliste peut avoir en mains tous les outils nécessaires à ne pas se planter.
  • Il faut :
    • Apprendre à regarder loin devant de façon active
    • Ajuster sa vitesse, et sa trajectoire, avant une courbe
    • Apprendre à freiner
    • Apprendre à manœuvrer sa moto à basse vitesse
J’ai parfois l’impression de ressasser ce que nous prêchions pendant les années où j’étais moniteur avec l’équipe Moto Pro de la FMQ.
 
Je sais, je sais, toi ça ne t’arrivera pas.
 
Mais mettons que moi, j’aime mieux apprendre à maîtriser ma moto, et à me maîtriser moi-même sur la moto.
Je choisi de faire ce que je peux pour ne pas faire partie du 80 % des situations totalement évitables.
 
Alain Labadie, Éditeur en chef
MagazineMoto.com

Références : 
 
Factors that Increase and Decrease Motorcyclist Crash Risk
Virginia Tech Transportation Institute, Motorcycle Research Group/Center for Automated Vehicle Systems
 
MSF Motorcycle Safety Foundation
 
Motorcycle Research Group at VTTI
http://www.motorcycle.vtti.vt.edu/index.html#
 
Cours MOTO PRO FMQ